La mort.
-Le vieux.
Il a l’air d’un mendiant, plié en
deux, encombré d’une canne et une chaise dépliable en fer et tissus de nylon, TD
a hésité un moment de le prendre, mais détestant toutes les « hogras »
quelle qu’elle soit, sa voix intérieur lui ordonne de s’arrêter, ou plutôt
c’est Christine qui le fait d’elle-même, une longue course jusqu’au
centre-ville, il sort un billet de 100 balles, comme s’il aurait deviné ce qui
s’est tramé un instant plutôt dans la citrouille de TD.
« c’est en ces jours de fête
qu’on reconnait Casablanca, notre chère belle cité, je suis à Casa depuis l’époque du
« boune » tu me reconnais donc
pas ? Je suis le vendeur d’escargots aux « Smat » juste avant qu’on (re)
construise la muraille, j’avais senti que s’en était fini de mon commerce et
que les temps étaient aux changements, je suis originaire de Tamsloht
(Marakech), j’ai connu quatre rois dans ma vie, ce billet c’est l’une de mes
filles qui me l’a donné pour que je rentre à mon « kherbiche » que
j’ai réussis à me procurer dans la Médina…Avant ma « karrossa »
d’escargots, je travaillait au quartier Roches noires, restaurant-bar possédé
par un espagnol à l’époque, dès qu’un marocain en avait fait l’acquisition j’ai
simulé la maladie et j’ai déguerpi, ma santé je la dois aux sports, surtout du
vélo, j’ai côtoyé ElGorch (vedette cycliste national) et j’en fait toujours,
seulement le cartier El'Oulfa est loin et il y a la pente ….J’ai de l’âge mon
ami, je suis née en 1924…..
Ce qui a intrigué TD, la tête du
vieux aux yeux bien clair avec un fil de « khol » , une fois assis
sur la banquette, on ne peux lui attribuer plus que la soixantaine, comment
a-t-il fait pour maintenir sa tète jeune pour un corps de 94 ans plié en
deux ??
Art Déco.
Juste au dessus du passage ElGlaoui, bâtiment
datant des années 20, à la naissance de
l’ « Escagotiste » habité jadis par les premiers « colons »
Français, aventuriers du nouvel Eldorado qu’était Casablanca à cette
époque, la cité a connu la prospérité
des uns, des carrières fulgurantes des autres, et puis après que les européens
se sont retiré vers leurs continent du nord, ils furent à fur et à mesure
remplacés par les « indigènes », mais pas n’importe lesquels, n’ont
osé occuper ces beaux appartements spacieux que les plus « futées »
des familles Marocaines, les juifs, Fassis les plus instruits, et sur leurs pas
des « Sh’louh » et des « A3rabin »…..
L’Amine.
A deux chaussées plus loin, la rue
commerçante commandant Provost (martyre de l’armée coloniale), le doyen des
commerçants est intitulé « l’Amine », ambitieux Fassis, côtoyant les
différents Caïds et un peu envié par les commerçants jusqu’à être parfois
« détesté », surnommé dérisoirement « Si Kati » par un
plaisantin. On pourrait tout lui reprocher sauf son élégance,
« Sikati » se fringuait avec du style, toujours en costume et
mocassin de couleur assorti, en tout cas TD l’avait toujours vu ainsi depuis
les années 70 et jusqu’au années 2010 affaibli mais restant serein et élégant
jusqu’au bout, « Sikati » avait beaucoup de respect pour la famille
de TD, la raison ? Toute simple le père de TD était l’ »Amine »
avant lui des temps du roi Mohammed V, très nationaliste le père de TD se
retire de la « fonction » sentant un air de despotisme depuis l’avènement
de Hassan II et les nouvelles générations des Caïds, la ferveur nationaliste
laissait peu à peu le terrain au culte de la personnalité.
A part son magasin de chaussure au
beau milieu de la rue, ses fils qui se sont accaparé 3 autres fonds de
commerces dans la même rue, tous aussi beaux les uns que les autres, surtout
Hamouda le plus jeune, larges épaules, cheveux à la Travolta, TD et son copain
Omar l’avait surnommé Stalone, pas du tout exagéré, il lui ressemblait
tellement qu’il assimilait même la démarche de l’acteur, on disait que Hamada
marchait pas droit mais se déplaçait en largeur.
-La défunte.
« Sikati » avait 7 garçons
et deux filles, portant TD n’avait jamais vu leur mère, en levant les yeux dans
le vaste salon ensoleillé, ce matin de la fête du « sacrifice », deux
photos, deux époques, l’une révolue en noir et blanc, un beau couple des années
cinquante chétifs et élégants, beaux comme tout, on dirait Abdelhalim hafez en
costume gris et Fatin Hamama en chemisette et jupe longue, justement, en dessous
de l’appartement art-déco, le studio/musé Maradji expose des photos de ces
stars égyptiennes en noir et blanc lors de leur visite au bon vieux temps, avant
que les vents Wahabites n’aient pas encore pointé du nez (croché satanique
arabique), Lalla Al Bathoul serait à ses 17 ans sur cette photo. L’autre photo
est récente, une dame en kaftan bordeaux, cheveux gris et
soignés, riant de toutes ses dents blanches perles, à son coté, riant aussi feu
Hadj Benjeloun (Sikati), un instant de joie dans le même salon ou en se trouve
à l’instant, quatre « maddahin », micro à la main psalmodient coran
et chantent les louanges du prophètes, embrassades et enlacements
réconfortants, Hamouda parait inconsolable parmi ses frères et sœur, TD n’en a reconnu
qu’une seule, jadis jeune fille gâtée par son père, aujourd’hui femme mariée et
extraordinairement sereine dans sa douleur, une porte s’entrouvre et se referme
d’aussi tôt dans le hall, TD devine que c’est là ou se déroule le « bain
funèbre » de la défunte, il imagine les femmes « ghassalat »
(laveuses funèbre) qui manipulent le corps sans vie de Lalla Al bathoul sur une
paillasse en tôle et soulevée pour introduire un saut de récupération d’eau
parfumée d’ambre et d’autres herbes, le corps est ensuite enveloppé dans du
draps blancs sans couture aucune, tel est le rituel Islamique…
La porte s’ouvre enfin, l’intensité
des lamentation monte d’un cran, les psalmodies des « maddahin » aussi,
les fils et leurs sœur aidé d’autres, soulevant la dépouille enveloppé d’un
drap velours vert brodé de calligraphies d’orées, à la surprise de TD, n’ayant
jamais assisté à un tel spectacle, ils entrent au salon, après quelques
ajustement en ronde, ils déposent la « janaza » sur le tapie pointant
la tête vers la Mecque, les psalmodies s’intensifie encore plus, les frères
entourent la dépouille accroupis à même le sol très affectés ce qui dure pour
un bon moment, puis c’est l’un des « maddahin » qui lance les implorations
et prière pour la défunte et son regretté mari, saccadés des « Amen »
des convives, et pour clore, l’orateur passe un micro à Hamouda et le prie de
lancer le chant « final » de la « quiyama », ça consiste à
inviter tout le monde à se lever pour le salut du prophète : « Quoumo
quoumo li rassouli llah… » (debout debout pour le prophète…) ainsi une
transe collective se répand dans l’assistance hommes et femmes, un flottement
des pleurs, larmes et un certain relâchement qui vire aussitôt à de la joie émotionnelle
….suivie de you you et « slaat o slaam 3la rassoul llah … » …TD se
tourne vers son compagnon de références « salafiste » qu’elle serait
sa réaction, il faisait la moue, TD devine ses pensées : « que
de la bid3a (hérésie) chez ces fassis »…..
Sacrée Fassis, pense TD, sacrée patrimoine
culturel qu’est le leur, des funérailles qui commencent en tristesse, puis virent en transe et en fin à du soulagements et relâchement
collectif, une vrai cure sociale bien rodée depuis la nuit des temps, des temps
da la capitale spirituelle de royaume chérifien, ce qui dépasse la pauvreté
culturelle et cultuelle de son ami « salafiste », Lalla Albathoul est une sainte femme pour être "ovationnée" de la sorte,
d’abord
par les siens chez elle, et en plus par le destin qui a fait qu’elle
soit enterrée un matin de l’Aïd puisque le cortège funèbre
traversera un Casablanca désert à midi, du centre ville au cimetière Ashohada à
coté de son défunt mari au tombeau familial, comme c'est le cas de plusieurs familles Fassis, même Christine
en deviendrait "salafiste" de jalousie.
Cela fait changement de ce que j’ déjà lu de toi mais donne une description de ce que je connais mal mais qui me fait voyager a peu de frais merci de cette description qui est un peut triste mais réel
RépondreSupprimerMerci Jean, ce voyage funèbre montre comment une culture aussi forte et ancienne arrive à se perfectionner et guérir les maux et blessures des âmes, cette cérémonie est une vrai cure pour les vivants et surement paisible pour la défunte...continue de me lire stp...c tout mon bonheur
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